En peu de temps, des outils conversationnels comme ChatGPT, Claude et Copilot ont été intégrés au quotidien de dizaines de millions d’internautes. Mais voilà qu’une étude du Massachusetts Institute of Technology(MIT) laisse supposer que l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) générative pourrait rendre notre cerveau moins actif et avoir des conséquences cognitives inattendues.

Si la majorité des gens apprécient le gain de productivité que procurent des agents conversationnels comme ChatGPT, de nombreuses personnes signalent qu’elles ont développé une certaine paresse intellectuelle.

Luc Lespérance, maître d’enseignement au Département de technologies de l’information de HEC Montréal, le voit chez ses étudiants et chez les professionnels qu’il côtoie. Ils disent qu’ils font moins d’efforts qu’avant, qu’ils n’ont plus besoin de réfléchir, parce que l’outil le fait à leur place, témoigne-t-il.

Même constat pour Nataliya Kosmyna, chercheuse au sein du groupe Fluid Interfaces du MIT Media Lab et autrice de l’étude du MITJe voyais beaucoup de mes étudiants dans le labo faire du copier-coller de ChatGPT, sans se poser de questions. Mes collègues me racontaient qu’ils se souviennent de moins en moins de choses [depuis qu’ils utilisent ChatGPT], raconte celle qui étudie et développe des interfaces cerveau-machine depuis une quinzaine d’années.

Ces anecdotes l’ont poussée à vouloir mesurer l’activité cérébrale d’utilisateurs de ChatGPT.

L’IA est poussée très agressivement dans tous les aspects de la vie. Mais comprenons-nous vraiment l’impact cognitif de l’outil? Je pense que la réponse est non.

Une citation deNataliya Kosmyna, chercheuse au MIT

Mesurer l’activité cérébrale en écrivant

Dans le cadre de l’expérience menée au MIT, on a demandé à 54 participants âgés de 18 à 39 ans de rédiger trois textes sur un sujet d’ordre général. Par exemple, en répondant à la question : les œuvres d’art peuvent-elles changer la vie des gens?

Les participants ont été divisés en trois groupes : le premier devait rédiger les essais sans outil technologique, le deuxième avait le droit d’utiliser le moteur de recherche de Google (sans l’interface IA) et le dernier avait accès à ChatGPT.

Grâce à un électroencéphalogramme, les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale afin d’évaluer l’engagement cognitif des participants et de constater quelles régions de leur cerveau étaient mobilisées et à quelle fréquence, selon la méthode d’écriture.

Je n’ai pas mesuré l’intelligence ou la paresse, précise Nataliya Kosmyna.

Image montrant les endroits où le cerveau est activé.

Différentes régions du cerveau « s’illuminent » lorsqu’une personne accomplit des tâches comme écrire. On a observé moins d’activité cérébrale chez les participants qui ont utilisé ChatGPT.

Photo : MIT / Brain on LLM

L’expérience a montré que l’activité cérébrale des personnes qui ont utilisé l’IA était significativement plus faible que celle des deux autres groupes. De plus, 83 % de ces participants n’arrivaient pas à se souvenir d’un seul passage de leur texte, même quelques minutes après en avoir terminé la rédaction.

L’utilisation de Google seulement rehaussait le niveau d’activité cérébrale dans le deuxième groupe. Toutefois, des trois groupes, ce sont les participants qui rédigeaient leurs essais sans outil technologique qui présentaient la connectivité neuronale la plus élevée, particulièrement dans les régions pariétales gauches, temporales droites et frontales antérieures, des zones du cerveau impliquées dans l’intégration sémantique, l’idéation créative et l’autorégulation.

Parmi les 54 participants, 18 ont été invités à réécrire l’un de leurs essais, cette fois en inversant le mode de rédaction (ceux qui avaient utilisé ChatGPT devaient utiliser seulement leur cerveau et vice-versa).

Nataliya Kosmyna dit avoir été surprise de constater que ceux qui avaient d’abord utilisé ChatGPT et qui devaient désormais écrire sans technologie présentaient toujours moins d’activité neuronale. Ces participants n’ont peut-être pas exploité toutes leurs capacités cognitives, peut-être parce qu’ils s’étaient habitués à l’aide de l’IA, peut-on lire dans l’étude.

L’expérience a également montré que les essais rédigés avec ChatGPT étaient extrêmement similaires, manquaient d’originalité et utilisaient les mêmes expressions et idées. C’était assez flagrant, affirme Nataliya Kosmyna.

Une femme contrôle un drone grâce à un casque qu'elle porte sur sa tête.

Avant cette étude, Nataliya Kosmyna a mis au point le casque Emotiv, une interface cerveau-ordinateur qui permet de contrôler toutes sortes d’appareils grâce à l’impulsion électrique produite par ses neurones.

Photo : Getty Images / LOIC VENANCE

La chercheuse prévient que, malgré plusieurs titres sensationnalistes dans les médias, son étude ne démontre pas que l’IA rend les gens plus stupides ou fait pourrir leur cerveau.

Elle précise que son étude n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation par les pairs et qu’il faut davantage étudier le sujet. Elle suggère notamment d’utiliser l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour étudier les changements structuraux dans le cerveau, comme l’ont fait les auteurs de l’étude Your brain on Google 

Ces résultats ont toutefois soulevé de nombreuses questions pour Mme Kosmyna. Cette baisse de l’activité neuronale est-elle signe que l’IA mène à une dette cognitive? Ces outils réduisent-ils l’esprit critique et la créativité? Peuvent-ils avoir un impact sur le développement cognitif?

Un domaine de recherche en émergence

Si cette étude ne permet pas de conclure hors de tout doute que l’IA mène à un déficit cognitif, dit Luc Lespérance, elle s’ajoute à d’autres études qui abordent la même hypothèse.

Si, à court terme, ces outils semblent offrir des bénéfices de productivité, est-ce qu’à long terme il y a un coût pour l’individu, d’avoir potentiellement réduit les capacités du cerveau? demande-t-il.

Adam Dubé, professeur agrégé au Département de psychopédagogie et de psychologie du conseil et directeur du laboratoire de technologie, d’apprentissage et de cognition de l’Université McGill, prévient lui aussi qu’il ne faut pas tirer des conclusions trop rapides.

Par exemple, dit-il, s’il y a eu plus de 1500 études sur l’impact de ChatGPT sur l’éducation publiées en un an, plusieurs ne sont que de « petites études ».

Il ne faut pas donner l’impression qu’on comprend tout parce qu’il y a beaucoup d’études. Ça arrive toujours quand il y a de nouvelles technologies.

Une citation deAdam Dubé, directeur du laboratoire de technologie, d’apprentissage et de cognition de l’Université McGill

Toutefois, les résultats de l’étude du MIT s’alignent avec ceux d’une revue systématique publiée dans Computers and Education (nouvelle fenêtre), précise le professeur Dubé. Certaines études montrent que l’usage de l’IA en éducation a des effets positifs sur la performance et la rétention, mais d’autres montrent un effet négatif (nouvelle fenêtre) sur l’effort mental et sur l’autorégulation.

S’ajoute à cela une étude de l’Université Harvard (nouvelle fenêtre) qui montre que l’IA rend les individus plus productifs, mais beaucoup moins motivés.

Une étude britannique (nouvelle fenêtre) portant sur plus de 600 personnes révèle une importante corrélation négative entre l’utilisation fréquente d’outils d’IA et les capacités de réflexion critique.

Une étude de HEC Montréal (nouvelle fenêtre) montre à quel point des professionnels en ressources humaines ont fait rapidement confiance à l’IA pour trier des CV et sélectionner des candidats, au détriment d’une analyse approfondie des candidatures.

L’expérience de Nataliya Kosmyna rejoint aussi les conclusions d’une étude de l’Université Cornell (nouvelle fenêtre), qui montre que l’IA homogénéise la langue. D’ailleurs, dans l’expérience au MIT, plusieurs participants ont utilisé ChatGPT dans des langues autres que l’anglais (espagnol, portugais), mais ont malgré tout rédigé des essais en anglais qui étaient très similaires à ceux rédigés par les participants ayant utilisé l’outil en anglais.

Luc Lespérance pointe également vers une étude qui montre que l’utilisation de l’IA en milieu de travail réduit la diversité des idées (nouvelle fenêtre)Finalement, tout le monde pense de la même façon, dit la même chose, utilise à peu près les mêmes mots, résume-t-il.

Des conséquences sur l’apprentissage?

L'application ChatGPT sur un écran de téléphone.

De plus en plus d’étudiants utilisent ChatGPT pour faire des travaux scolaires.

Photo : Radio-Canada / Jessica Gélinas

Malgré cela, ces trois experts n’estiment pas que toutes les conséquences de cette technologie sont négatives. Par exemple, une étude (nouvelle fenêtre) montre que l’usage de ChatGPT augmente la motivation et l’engagement chez les étudiants.

Ils sont cependant tous d’accord pour dire qu’il faut particulièrement se questionner sur l’usage de l’IA en éducation. Les jeunes risquent-ils de ne pas développer les compétences de base en matière de langage, de réflexion critique et de résolution de problèmes à cause de l’IA?

Lorsque les gens dépendent de la technologie pour apprendre, ils ont tendance à confier leur processus de réflexion à ces outils. Et nous savons qu’en faisant cela, on ne fait pas le travail mental, on ne réfléchit pas, on ne se pose pas de questions sur le sens, on ne construit pas ses idées, on ne développe pas ses aptitudes, rappelle Adam Dubé.

Malgré la popularité des outils comme ChatGPT, M. Dubé ne croit pas que tous les étudiants les emploieront pour contourner entièrement le processus d’apprentissage. Il pointe vers un rapport paru aux États-Unis (nouvelle fenêtre), basé sur une enquête auprès de 4000 élèves du secondaire, dans lequel moins de 10 % disent qu’ils utiliseraient ces outils pour faire tout le travail à leur place.

La plupart des étudiants veulent produire quelque chose et veulent apprendre. Après tout, qui a vraiment le goût de simplement appuyer sur un bouton toute la journée sans penser? Ça serait ennuyant, dit M. Dubé.

Pour Nataliya Kosmyna, le cerveau est l’ultime ordinateur. Elle espère que son étude mènera à d’autres recherches pour mieux comprendre comment il sera affecté par l’IA.

Source:https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2178183/chatgpt-ia-intelligence-artificielle-cerveau-cognitif-mit


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Texte partagé par Les Chroniques d'Arcturius - Au service de la Nouvelle Terre